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Déclaration d'ouverture de M. Claver Gatete à la 56ème session de la Conférence des ministres des Finances, de la Planification et du Développement économique

4 mars, 2024
Déclaration d'ouverture de M. Claver Gatete à la 56ème session de la Conférence des ministres des Finances, de la Planification et du Développement économique

Cinquante-sixième session de la Conférence des ministres africains des finances, de la planification et du développement économique

[Vérifier à l’audition]

Allocution prononcée 

Par

Le Secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) 

Claver Gatete

 

 

Victoria Falls (Zimbabwe)

1er mars 2024

 

Monsieur le Président de la République du Zimbabwe, Emmerson Mnangagwa,

Monsieur le Ministre des finances et de la promotion des investissements de la République du Zimbabwe, Mthuli Ncube,

Madame la Vice-Présidente de la Commission de l’Union africaine, Monique Nsanzabaganwa,

Madame l’Ambassadrice de la République d’Ouganda en Éthiopie et Présidente du Bureau sortant, Rebecca Amuge,

Mesdames et Messieurs les ministres,

Mesdames et Messieurs les représentants,

Mesdames et Messieurs,

J’ai le grand plaisir de vous souhaiter la bienvenue à la session de la Conférence des ministres de cette année, qui se tient sur le thème « Financer la transition vers des économies vertes inclusives en Afrique ».

Je tiens tout d’abord à remercier le Président Emmerson Mnangagwa et le peuple de la République du Zimbabwe de l’accueil chaleureux qu’ils nous ont réservé dans cette belle ville de Victoria Falls.

Mesdames et Messieurs,

Le monde se trouve à un point d’inflexion et les pays sont face à des dilemmes insolubles aux conséquences sociales et économiques considérables.

Mais nous avons choisi le thème des transitions vertes car, que cela nous plaise ou non, nous ne pouvons pas ignorer les défis des changements climatiques et la nécessité de réagir en conséquence.

En 2020, les émissions totales de gaz à effet de serre de l’Afrique représentaient environ 3 % des émissions mondiales.

Il n’empêche que notre région est celle qui en souffre le plus.

Aussi les choix auxquels nous procédons représentent-ils un enjeu majeur.

Il ne faut donc pas se tromper.

Le G20 estime que nous devons consacrer une enveloppe supplémentaire de 1 800 milliards de dollars à l’action climatique et de 1 200 milliards de dollars au financement du développement d’ici 2030.

Or, le rétrécissement de la marge d’action budgétaire est désormais la question la plus importante pour les ministres africains des finances, de la planification et de l’économie.

Avec une croissance de 2,7 % en 2023, une projection de 2,4 % en 2024 et une inflation de près de 20 %, l’avenir semble bien sombre.

La dette a augmenté de plus de 180 % depuis 2010, et 21 pays sont aujourd’hui menacés de surendettement ou en situation de surendettement.

Et je ne saurais oublier la perte annuelle d’au moins 5 % du PIB due aux changements climatiques.

En outre, le secteur privé est mis à l’écart.

Par conséquent, la question qui se pose naturellement est la suivante : « D’où viendront toutes ces ressources ? »

Comment, en tant que ministres, déterminez-vous la répartition des ressources alors que près de 100 milliards de dollars sont consacrés chaque année au remboursement de la dette ?

Il est clair que les gouvernements ne peuvent plus garantir les dispositifs de sécurité sociale.

Pourtant, c’est précisément ce que nous devons faire pour veiller à ce que personne ne soit laissé pour compte.

Regardons les choses en face : nous sommes sur le point de laisser tomber les générations futures.

Mesdames et Messieurs,

Les problèmes budgétaires auxquels nous sommes en proie aujourd’hui ne sont pas uniquement dus à la crise de COVID-19 ou à des conflits récents.

Ces chocs récents n’ont fait qu’exacerber des problèmes structurels historiquement enracinés dans une architecture financière mondiale qui n’est pas adaptée au monde d’aujourd’hui.

Pour dire les choses simplement, le système financier multilatéral actuel ne répond pas aux besoins de l’Afrique.

Cela ne devrait toutefois pas être une surprise.

En effet, l’architecture financière internationale a été mise en place à une époque où de nombreux pays africains n’étaient pas encore nés.

En 1945, lorsque l’ONU a été créée, les cinq membres permanents du Conseil de sécurité, à savoir la Chine, les États-Unis, le Royaume-Uni, la France et la Russie, représentaient près de 50 % de la population mondiale.

Aujourd’hui, ce chiffre n’est plus que de 26 %.

Alors que l’Afrique abrite aujourd’hui près de 20 % de la population mondiale, elle n’est pas représentée au sein du G7, dont la proportion de la population mondiale n’est que de 9,7 %.

Comment donc résoudre les problèmes d’aujourd’hui avec des structures vieilles de quatre-vingts ans qui ne reflètent pas les mutations du monde ?

Mesdames et Messieurs,

Les déséquilibres sautent aux yeux.

Et il y a des éléments fondamentaux qui doivent être pris en compte.

Premièrement, l’architecture financière mondiale doit être corrigée. Elle doit fonctionner pour tout le monde et refléter la nouvelle dynamique.

À cet égard, nous nous félicitons de l’accession de l’Union africaine au G20.

Mais il faut aller plus loin !

En outre, la réforme ne doit pas se limiter à augmenter le montant des financements concessionnels ou à allonger la période de remboursement des prêts.

Nous devons continuer à appeler à des changements qui suppriment les rigidités en matière d’investissement et qui permettent aux pays de mobiliser des financements abordables à grande échelle.

Les discussions sur la gouvernance et les conditionnalités, aussi difficiles soient-elles, doivent être une priorité absolue.

L’appel ambitieux du Secrétaire général de l’ONU pour une relance des ODD à hauteur de 500 milliards de dollars est une reconnaissance du chemin qu’il nous reste à parcourir pour la justice et l’équité.

Deuxièmement, nous devons aborder la question des perceptions du risque et des notations de crédit injustes qui font qu’en matière d’emprunt l’Afrique ne dispose que d’un nombre limité de solutions.

Nous ne devrions pas accepter que seuls deux pays africains bénéficient d’une notation de qualité, et que 22 pays ne soient pas notés.

L’année dernière, le PNUD a estimé que les asymétries d’information en matière de notation coûtaient au continent jusqu’à 74,5 milliards de dollars (PNUD, 2023)[1].

Troisièmement, nous devons nous concentrer sur le renforcement de la mobilisation des ressources intérieures pour assurer la durabilité.

Les emprunts extérieurs sont devenus coûteux, peu fiables et intenables.

Par conséquent, la réforme de nos régimes fiscaux et la réduction des risques dans les transactions commerciales sont des impératifs incontournables.

Nous ne pouvons tout simplement pas faire des affaires sans le secteur privé, d’où la nécessité d’investir dans le développement des marchés de capitaux afin de fournir des ressources à long terme pour les investissements du secteur privé.

Mesdames et Messieurs,

Un système de financement vert productif en Afrique a le potentiel de générer 3 000 milliards de dollars d’ici 2030.

Mais nous devons passer du « potentiel » à des actions tangibles assorties de projets régionaux susceptibles d’être financés.

Des instruments innovants tels que les échanges dette-nature, les obligations bleues régionales, les marchés régionaux du carbone et la comptabilisation du capital naturel peuvent fournir un financement permettant de résoudre les problèmes d’endettement et d’encourager l’action environnementale.

Les Seychelles ont déjà donné l’exemple avec l’émission en 2016 de leur obligation bleue souveraine, qui a permis de lever 15 millions de dollars.

De même, l’exploitation du vaste littoral africain pourrait générer 576 milliards de dollars par an et créer 127 millions d’emplois d’ici à 2063.

Mais pour en récolter les fruits, l’échange de droits d’émission de carbone doit se faire à un prix équitable.

Il n’est pas logique que les pays africains gagnent moins de 10 dollars par tonne de carbone alors que les pays européens gagnent plus de 100 dollars.

Nous savons également que la coopération régionale peut transformer l’Afrique en un centre industriel, afin de réaliser les aspirations de la ZLECAf.

Qu’est-ce qui nous empêche de poursuivre agressivement les chaînes de valeur régionales dans la filière bovine du Tchad et du Botswana, ou dans le secteur du cacao au Ghana et en Côte d’Ivoire, ou encore de mettre en place un secteur agro-industriel florissant en Zambie et au Zimbabwe ?

Or, nous ne pouvons pas faire tout cela sans progrès technologiques.

Aussi devons-nous résolument investir dans la science, la technologie et l’innovation.

La numérisation est un élément essentiel du développement des infrastructures et de la réalisation d’économies d’échelle.

C’est pourquoi le dialogue sur le Pacte numérique mondial est si important pour l’Afrique, d’autant plus que notre région reste la moins ouverte au numérique, avec un taux d’utilisation moyen d’Internet de seulement 40 %.

Mesdames et Messieurs,

La présente session est importante à bien des égards.

Elle coïncide avec le début de la seconde moitié de la mise en œuvre des ODD et le début du deuxième plan décennal de mise en œuvre de l’Agenda 2063.

Elle se tient également dans le contexte d’un système multilatéral défaillant qui n’a pas tenu ses promesses à l’égard de l’Afrique.

Que faudra-t-il donc pour que les pays africains se sentent réellement entendus ?

En septembre, nos dirigeants se réuniront pour le Sommet de l’avenir afin de s’accorder sur les éléments d’un nouvel ordre mondial.

Les résultats de la présente session et de la prochaine réunion du Forum régional africain pour le développement durable, prévue en avril, contribueront aux messages de l’Afrique au Sommet, et nous travaillons en étroite collaboration avec l’Union africaine et des partenaires clés à l’élaboration d’une position commune de l’Afrique.

Nous avons le droit de dire qu’il y a quatre-vingts ans, l’Afrique n’avait pas été associée.

Il est probablement acceptable de dire que lorsque les objectifs du Millénaire pour le développement ont été adoptés, nous avions également été marginalisés.

Mais on ne nous pardonnera pas aujourd’hui si nous n’occupons pas le devant de la scène en tant qu’architectes d’une nouvelle architecture financière mondiale qui fonctionne pour nous.

En tant que ministres des finances, nous avons plus que jamais besoin de votre voix !

Oui, il est juste de dire que nous sommes en proie à des problèmes réels.

Mais, contre toute attente, nous sommes toujours debout.

Cela devrait nous donner de l’espoir.

De l’espoir, parce que nous pouvons faire plus avec ce que nous avons.

Avec une intention délibérée et une unité d’objectif, nous pouvons être dans une bien meilleure situation.

Je n’ai jamais eu autant de raisons d’espérer que l’avenir appartient à l’Afrique !

Je vous remercie de votre attention.

[Version arabe]




[1] 46 milliards de dollars de coûts d’opportunité et 28 milliards de dollars d’économies d’intérêts potentielles