PREMIÈRE CONFÉRENCE DE L’UNION AFRICAINE
SUR LA DETTE
Thème :
L’Agenda africain de gestion de la dette publique : restaurer
et préserver la viabilité de la dette
Observations liminaires
de
M. Claver Gatete
Secrétaire général adjoint de l’Organisation des Nations Unies et
Secrétaire exécutif de la CEA
Lomé,
12-14 mai 2025
Monsieur Faure Gnassingbé, Président du Conseil de la République togolaise,
Monsieur John Dramani Mahama, Président de la République du Ghana,
Monsieur Moses Vilakazi, Commissaire à l’agriculture, au développement rural, à l’économie bleue et à l’environnement durable, Commissaire par intérim au développement économique, au commerce, au tourisme, à l’industrie et aux minéraux,
Monsieur Essowè Georges Barcola, Ministre de l’économie et des finances du Togo,
Mesdames et Messieurs les Ministres,
Mesdames et Messieurs les représentants,
Chers et chères collègues, chers partenaires,
C’est un privilège pour moi de m’adresser à vous aujourd’hui à l’occasion de cette conférence inaugurale historique de l’Union africaine sur la dette, qui a pour thème : « L’Agenda africain de gestion de la dette publique : restaurer et préserver la viabilité de la dette ».
Je tiens tout d’abord à féliciter S. E. M. Faure Gnassingbé, Président de la République togolaise, ainsi que la Commission de l’Union africaine, d’avoir organisé cette réunion indispensable, qui se tient à un moment décisif du parcours de développement de l’Afrique.
Excellences,
Cette conférence ne pourrait être plus opportune.
Sur tout le continent, l’accès aux financements à des conditions favorables se réduit, tandis que la progressivité des droits affaiblit l’accès aux marchés pour les produits africains.
Pour nombre de nos pays, cela se traduit par des coûts d’emprunt plus élevés, des recettes d’exportation moindres et des budgets plus serrés, dans une période où l’expansion budgétaire est essentielle pour une croissance inclusive.
Au moment où nous parlons, l’Afrique n’est pas seulement aux prises avec une crise de la dette ; elle se heurte à une crise du développement, où le service de la dette est en concurrence directe avec la santé, l’éducation, les infrastructures et le droit fondamental au développement.
La question est la suivante : de quel genre de solution avons-nous besoin, et quand pouvons-nous la mettre en œuvre avec l’urgence qui s’impose ?
Commençons par les faits qui donnent à réfléchir.
En 2024, la dette publique totale de l’Afrique a atteint 1 860 milliards de dollars, avec des ratios moyens dette/PIB qui sont passés de 44,4 % en 2015 à 66,7 % aujourd’hui.
À l’échelle du continent, plus de 20 pays africains sont déjà en situation de surendettement ou menacent d’y sombrer.
Lorsque le paiement de la dette dépasse le cumul des investissements dans la santé et l’éducation, nous devons nous interroger sur la viabilité et le coût humain de notre trajectoire fiscale.
Pouvons-nous – ou devrions-nous – accepter cette réalité dans laquelle le remboursement de la dette prime sur la protection de la vie humaine et le développement du capital humain ?
Il est par ailleurs inacceptable qu’aujourd’hui, seuls deux pays africains soient jugés propices aux investissements par les agences de notation.
Est-ce à dire que nos fondamentaux sont si faibles, ou sommes-nous évalués à l’aune de méthodes dépassées et de perceptions étroites qui ne tiennent pas compte du potentiel de l’Afrique ?
Et si l’Afrique, qui détient 30 % des minerais essentiels du monde, 60 % de ses terres arables et la population la plus jeune de la planète, n’est pas considérée comme une destination prometteuse pour les investissements, alors qui le sera ?
Oui, nous devons donner aux pays les moyens d’améliorer leur note, mais la transparence est un enjeu majeur.
Il n’en reste pas moins, Excellences, qu’il nous faut également affronter la réalité d’un paysage mondial en mutation.
Les bouées de sauvetage financières internationales sur lesquelles nous comptions autrefois, y compris l’aide publique au développement, sont en train de disparaître.
Aujourd’hui, 83 % des programmes de l’USAID ont été annulés, et les partenaires traditionnels resserrent leurs budgets.
Dans le même temps, le coût du capital s’est accru, et le cadre commun du G20 reste malheureusement lent, opaque et biaisé par les créanciers.
Face à ces vents contraires, nous n’avons d’autre choix que de tracer une nouvelle voie, audacieuse et fondée sur des principes.
À cet égard, permettez-moi d’énoncer cinq impératifs cruciaux pour remodeler le paysage de la dette africaine et restaurer la souveraineté budgétaire.
Premièrement, nous devons repenser la dette, comme outil de développement et non de destruction.
Il nous faut garder à l’esprit que la dette n’est pas mauvaise en soi ; ce qui compte, c’est l’usage qui en est fait.
De ce point de vue, la CEA préconise une approche axée sur le développement, où l’emprunt soit lié à des investissements productifs dans l’énergie, les infrastructures, l’industrie et les services connexes.
Pour le dire simplement, nous devons cesser d’emprunter pour consommer, et plutôt emprunter pour transformer.
Deuxièmement, nous devons approfondir la transparence et renforcer l’administration de la dette.
L’Afrique a besoin de stratégies globales, dont la mise en œuvre soit dirigée par les pays et qui tiennent compte de tous les passifs, y compris ceux des entreprises publiques.
La transparence doit évoluer vers une culture de la responsabilité, de manière à renforcer la confiance tant des citoyens que des investisseurs.
À cette fin, la CEA travaille en étroite collaboration avec les gouvernements africains pour leur fournir un soutien technique, des analyses de la dette et des outils numériques pour l’administrer.
Troisièmement, nous devons réformer sans plus attendre l’architecture financière mondiale.
Le système actuel n’est malheureusement plus adapté.
Il faut transformer le cadre commun du G20 pour le rendre prévisible, inclusif et équitable.
Celui-ci doit également accueillir les pays à revenu intermédiaire, amener rapidement les créanciers privés à la table des négociations et suivre les neuf principes fondamentaux de l’ONU, qui vont des préoccupations de durabilité à l’immunité de l’État.
Dans cet esprit, nous devons accélérer la mise en place d’une agence africaine de notation, qui appréhende correctement les réalités de l’Afrique, reflète son potentiel et rétablisse l’équité dans la perception mondiale du risque présenté par le continent.
Il ne s’agit pas de remplacer les agences de notation existantes, mais de les compléter en apportant plus de transparence.
Quatrièmement, il est impératif de développer les financements novateurs et les financements verts.
L’Afrique doit donner l’exemple en déployant des instruments comme les obligations vertes et les obligations bleues, et en gérant la dette dans une logique de viabilité pour débloquer des capitaux sans effet préjudiciable sur le climat.
Par ailleurs, la conversion de dettes en mesures en faveur du climat et de la nature offre des moyens d’alléger la pression budgétaire tout en investissant dans notre planète.
Des pays comme Cabo Verde, le Gabon, les Seychelles et le Maroc montrent déjà la voie, et la CEA reste déterminée à fournir le soutien technique nécessaire, à renforcer les capacités et à défendre des initiatives telles que la Coalition pour la dette durable.
Cinquièmement, nulle solution ne saurait être complète sans une mobilisation renforcée des ressources nationales.
Il faut donc élargir et numériser notre assiette fiscale, endiguer les fuites, tirer parti de la technologie et lutter contre les flux financiers illicites qui coûtent à l’Afrique plus de 88 milliards de dollars chaque année.
Cela suppose également de développer des marchés financiers solides et inclusifs, capables de canaliser l’épargne nationale vers des investissements productifs, de proposer des financements à long terme pour le secteur privé et de réduire la dépendance à l’égard de la dette extérieure.
Et n’oublions pas la ZLECAf, qui constitue la réponse structurelle la plus puissante de l’Afrique.
En créant un marché unique africain de 1,5 milliard de personnes, elle peut stimuler les chaînes de valeur régionales, l’industrialisation, la création d’emplois et la mobilisation de recettes, de sorte que le continent soit moins tributaire des emprunts extérieurs et plus résilient sur le plan budgétaire.
Excellences,
Mesdames et Messieurs les représentants,
Pour conclure, permettez-moi de vous assurer que malgré l’ampleur des défis auxquels nous sommes confrontés, l’Afrique n’est pas sans solutions.
La Commission économique pour l’Afrique est toujours prête à travailler avec vous, à chaque étape, pour institutionnaliser cette plateforme dirigée par l’Afrique, concevoir des cadres pour un endettement tolérable, renégocier des passifs lourds et fournir des outils et des solutions qui s’inscrivent dans le contexte africain, afin de renverser le cours de notre histoire.
Je vous remercie.