par Aboubakri Diaw et Stephen Chundama
Introduction
Il est généralement admis que la réussite ou l’échec d’une organisation dépend notamment de la motivation, des compétences et du bien-être de ses ressources humaines. Selon Adetipe (2020), l’absence de possibilités d’évolution, l’invisibilité des résultats du travail accompli et le manque de coopération entre collègues constituent les principaux facteurs de démotivation du personnel.

Au cours de mes modestes activités dans de nombreuses organisations, j’ai souvent été chargé de diriger des équipes dont le moral était au plus bas, où la confiance s’était érodée et où la collaboration entre services avait pratiquement cessé. Ces équipes étaient paralysées par des tensions personnelles touchant l’ensemble des catégories de personnel, qu’il s’agisse de responsables, de superviseurs et de personnes supervisées, de chercheurs ou d’« autres » collaborateurs. Un élément commun les caractérisait : un manque de clarté stratégique et un profond désengagement du personnel moins expérimenté.
Les équipes que j’ai reprises avaient souvent été marquées par des années de dysfonctionnements, une communication fragmentée entre unités et sections, des mandats qui se chevauchaient, des conflits de personnalité à tous les niveaux hiérarchiques et une culture organisationnelle dans laquelle les membres les plus jeunes ou récemment recrutés se sentaient invisibles. Ces situations s’accompagnaient fréquemment d’une stagnation, voire d’une détérioration, des indicateurs de performance.
La correction que j’ai apportée à de telles situations, au moyen de transformations internes durables, n’était ni fortuite ni dictée par des instructions émanant de la hiérarchie. D’après mon expérience personnelle, elle a été rendue possible par le leadership restauratif[1] – une approche fondée sur l’écoute, l’humilité, la structuration des processus et l’inclusivité.
La présente analyse propose donc le leadership restauratif comme un modèle reproductible de reconstruction organisationnelle, fondé sur les enseignements tirés de l’adaptation que j’ai effectuée d’une approche du leadership développée au fil de la pratique et de l’expérience. Cette approche a démontré son efficacité dans les organisations où j’ai travaillé – utilisées ici comme études de cas – et repose sur un nombre croissant de données probantes relatives à la sécurité psychologique, à l’investigation menée avec humilité et au leadership adaptatif.
Approche par étape du leadership restauratif
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L’écoute comme point de départ
Schein (2014) montre que l’écoute – plutôt que l’audit ou les instructions – constitue la forme d’investigation la plus stratégique qu’un dirigeant puisse utiliser. J’ai adapté cette approche en procédant à une écoute approfondie dans le cadre d’entretiens individuels informels avec les membres du personnel[2], ce qui a mis au jour des schémas récurrents d’exclusion, des conflits de personnalité non résolus et un climat de méfiance – éléments invisibles dans les circuits formels de communication de l’information.
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Instaurer la sécurité et la confiance
Il importe, dans un second temps, de reconnaître de manière générale les insuffisances des pratiques de leadership antérieures, puis d’inviter l’ensemble du personnel à élaborer collectivement des normes de comportement, notamment la civilité en réunion, la transparence de la communication et la possibilité d’exprimer des désaccords de manière respectueuse. Le respect des normes, ainsi que les progrès accomplis à cet égard, pouvaient être observés quotidiennement grâce à une véritable politique de la porte ouverte. Ces pratiques, ainsi que d’autres gestes symboliques de portée limitée, ont contribué à rétablir la sécurité psychologique et à garantir qu’aucune forme de victimisation[3] directe ou indirecte ne viserait le personnel exprimant sincèrement ses opinions.
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Élaboration conjointe de la direction stratégique et de la finalité de l’organisation
Plutôt que d’élaborer de nouvelles orientations stratégiques en circuit fermé, j’ai appliqué la méthode dite « d’analyse appréciative »mise au point par Cooperrider et Srivastva (1987), en animant des séances de planification conjointes réunissant des équipes interservices, y compris des collègues en début de carrière. Selon la théorie de l’autodétermination de Deci et Ryan (2000), l’autonomie et l’appropriation ainsi développées constituent des leviers essentiels de la motivation intrinsèque.
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Réalignement structurel et transparence
Pour renforcer la cohérence et l’efficacité, j’ai souvent procédé à une réorganisation structurelle limitée visant à fusionner les fonctions qui se chevauchaient, à mutualiser les compétences pointues ou rares, et à clarifier les responsabilités décisionnelles à l’aide d’une matrice d’attribution des responsabilités. Ce réajustement transparent et systématique des processus d’exécution des tâches a permis de réduire les ambiguïtés et de renforcer la responsabilité partagée, conformément aux principes de transparence décrits par Lencioni (2002).
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Médiation et valorisation des contributions diverses
L’un des aspects les plus complexes de l’adaptation du processus de leadership restauratif consiste à gérer des conflits personnels profonds, soit entre cadres supérieurs, soit entre ceux-ci et leur équipe. Pour résoudre efficacement ces conflits, j’ai souvent proposé de courtes séances de médiation fondée sur les intérêts, inspirées du modèle de négociation raisonnée de Fisher et Ury (1991). Ces séances offraient un environnement sûr permettant d’exprimer des griefs profondément enracinés et de définir des objectifs communs. Parallèlement, j’ai instauré la pratique du « tour de remerciements » régulier, au cours duquel les membres du personnel reconnaissaient publiquement les contributions de leurs collègues. Sans surprise, le personnel moins expérimenté – auparavant mis à l’écart – a progressivement été davantage reconnu pour sa perspicacité et son engagement, conformément aux observations de Cameron (2012).
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Équipes intégrées et activités transversales
Afin de rompre avec les habitudes de travail cloisonnées, j’ai mis en place pour une durée déterminée des petites « équipes intégrées »[4] composées de membres du personnel de différentes sections et chargées de tâches telles que la résorption des arriérés, l’amélioration de l’établissement des rapports, la promotion de la réflexion novatrice ou la résolution de problèmes pratiques concernant les processus. Conformément aux critères définis par Hackman (2002) concernant la création de véritables équipes, ces structures et ces groupes de travail ont favorisé la coordination effective, les possibilités d’apprentissage et un engagement visible des membres du personnel.
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Retour d’information et adaptation
Lors de réunions organisées régulièrement, j’ai effectué de courtes enquêtes ponctuelles afin d’évaluer le degré de confiance, l’équité dans la répartition de la charge de travail, la clarté des objectifs poursuivis et la perception de l’inclusivité. Les résultats de ces enquêtes étaient présentés de manière transparente lors de séances plénières et servaient à orienter les ajustements à apporter. Cette pratique itérative[5] renvoie au modèle de leadership adaptatif proposé par Heifetz (1994), qui se décline en trois grandes étapes : observer, interpréter, puis intervenir.
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Ancrage de la culture et pérennisation du changement
Pour garantir la durabilité des progrès accomplis, nous avons institutionnalisé certaines pratiques régulières essentielles, notamment la pratique de la porte ouverte, les tours de remerciements, les structures en « équipes intégrées », les boucles de rétroaction et les processus d’exécution des tâches transparents. Un « responsable de la culture », désigné à tour de rôle, était chargé de préserver les normes de comportement que nous avions établies. Comme l’ont observé Ahn et d’autres chercheurs (2004), de nombreuses initiatives de restructuration échouent car elles n’intègrent pas la dimension culturelle ; cette mesure visait donc à atténuer ce risque.
Conclusion : vers un modèle reproductible
Le leadership restauratif associe l’intelligence émotionnelle à la réforme structurelle. La confiance n’est pas instaurée au moyen de slogans, mais par des gestes quotidiens de transparence, de reconnaissance et de collaboration.
À l’issue de la présentation détaillée de mon expérience de plusieurs années de la mise en œuvre du leadership restauratif – ainsi que des résultats obtenus, notamment la transformation d’équipes en groupes dynamiques, motivés, efficaces et collaboratifs –, quatre enseignements majeurs se sont dégagés. Premièrement, la défiance tient autant à un manque d’information qu’à une prise en considération insuffisante des questions d’ordre éthique. Lorsque les justifications des décisions et les apports de ressources deviennent transparents, la suspicion s’estompe. Deuxièmement, l’humilité ne consiste pas en un effacement de soi[6] ostentatoire, mais permet d’accéder à des informations plus complètes. En reconnaissant l’existence de lacunes, les dirigeants obtiennent des informations factuelles non filtrées qui leur permettent de prendre de meilleures décisions. Troisièmement, donner pleinement la parole au personnel moins expérimenté n’est pas un acte désintéressé : cela élargit le champ cognitif en intégrant des informations issues de l’expérience concrète, qui font souvent défaut aux dirigeants. Quatrièmement, la refonte structurelle doit accompagner la réparation émotionnelle. Sans les « équipes intégrées », les protocoles de médiation et les processus d’exécution des tâches visibles, la bonne volonté renouvelée serait restée au stade de la déclaration d’intention.
Un nombre croissant de données probantes montrent que les interventions « douces » proposées dans le cadre du leadership restauratif (par exemple, l’analyse appréciative et la pratique de la porte ouverte) atteignent leur pleine efficacité lorsqu’elles sont associées à des mécanismes plus « fermes » qui ancrent les nouveaux comportements dans la pratique quotidienne.
Le leadership restauratif n’est pas seulement applicable dans différents contextes ; il constitue également un outil indispensable en période d’incertitude institutionnelle.
[1] Le leadership restauratif est une approche collaborative du leadership qui met l’accent sur l’établissement de relations solides, l’autonomisation des membres de l’équipe et la réparation des préjudices.
[2] Les réunions sont organisées en donnant la priorité aux collègues plus jeunes ou nouvellement arrivés.
[3] La victimisation indirecte peut prendre notamment la forme d’attitudes passives-agressives ou de restrictions délibérées des possibilités d’évolution professionnelle.
[4] Les « équipes intégrées » sont des groupes multidisciplinaires composés de membres de différents départements ou sections, qui collaborent en vue d’atteindre un résultat concret lié au travail.
[5] Le processus itératif désigne la pratique consistant à élaborer, affiner et améliorer un projet, un produit ou une initiative.
[6] L’effacement de soi ostentatoire désigne le fait de minimiser intentionnellement ses propres capacités ou réalisations dans un but calculé d’effet social, souvent pour susciter la faveur ou l’admiration.
